« L’amour de Dieu reçoit ici sa pleine mesure, sans mesure », écrit la bibliste française Anne-Marie Pelletier, dans l’ouverture de ses méditations pour le Chemin de croix que le pape François présidera au Colisée, à Rome, le Vendredi Saint, 14 avril 2017. « Au Golgotha, contre toutes les apparences, assure-t-elle, il s’agit de vie. Et de grâce. Et de paix. Il s’agit, non pas du règne du mal que nous connaissons trop, mais de la victoire de l’amour ».
« Il nous faut oser dire que la joie de l’Évangile, Evangelii gaudium, est la vérité de cet instant ! », insiste Anne-Marie Pelletier, lauréate du Prix Ratzinger 2014. Sinon « nous rendons vaine la Passion du Christ ».
Au fil du texte publié en italien par L’Osservatore Romano daté du 9 avril, sous le titre « Avec les femmes de l’Evangile », la théologienne souligne la « banalité du mal » : « Ils sont légion les hommes, les femmes, les enfants mêmes, violentés, humiliés, torturés, assassinés, sous tous les cieux, en chaque temps de l’histoire ». Et elle invite à fixer le regard sur Jésus : « Par lui, le Très Haut nous enseigne qu’il est aussi, ô stupeur, le Très Bas, prêt à descendre jusqu’à nous, toujours plus bas s’il le faut, de sorte qu’aucun ne se perde dans les bas-fonds de sa misère ».
Nous publions ci-dessous l’intégrale des méditations en français, avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Chemin de Croix, Rome, Vendredi saint 2017
Ouverture
L’Heure est donc venue. Le chemin de Jésus sur les routes poudreuses de Galilée et de Judée, à la rencontre des corps et des cœurs en souffrance, pressé par l’urgence d’annoncer le Royaume, ce chemin s’arrête ici, aujourd’hui.
Sur la colline du Golgotha.
Aujourd’hui la croix barre le chemin.
Jésus n’ira pas plus loin.
Impossible d’aller plus loin !
L’amour de Dieu reçoit ici sa pleine mesure, sans mesure.
Aujourd’hui l’amour du Père, qui veut que, par le Fils, tous les hommes soient sauvés, va jusqu’au bout, là où nous n’avons plus de mots, où nous perdons pied, où notre piété est débordée par l’excès des pensées de Dieu.
Car, au Golgotha, contre toutes les apparences, il s’agit de vie. Et de grâce. Et de paix. Il s’agit, non pas du règne du mal que nous connaissons trop, mais de la victoire de l’amour.
Misericordia et misera…
Et, à l’aplomb de la même croix, il s’agit de notre monde, avec toutes ses chutes et ses douleurs, ses appels et ses révoltes, tout ce qui crie vers Dieu, aujourd’hui, depuis les terres de misère ou de guerre, dans les foyers déchirés, les prisons, sur les embarcations surchargées de migrants.
Tant de larmes, tant de misère dans la coupe que le Fils boit pour nous.
Tant de larmes, tant de misère qui ne sont pas perdues dans l’océan du temps, mais recueillies par lui, pour être transfigurées dans la mystérieuse alchimie d’un amour où le mal est englouti.
C’est bien de la fidélité invincible de Dieu à notre humanité qu’il s’agit au Golgotha.
C’est une naissance qui s’y opère !
Il nous faut oser dire que la joie de l’Évangile, Evangelii gaudium, est la vérité de cet instant !
Si notre regard ne rejoint pas cette vérité, alors nous restons prisonniers de rets de la souffrance et de la mort. Et nous rendons vaine la Passion du Christ.
Prière
Seigneur, nos yeux sont obscurs. Et comment t’accompagner si loin ?
« Miséricorde » est ton nom. Mais ce nom est une folie.
Qu’éclatent les vieilles outres de nos cœurs.
Guéris notre regard pour qu’il s’illumine de la Bonne nouvelle de l’Évangile, à l’heure où nous nous tenons au pied de la Croix de ton Fils.
Et nous pourrons célébrer « la longueur, la largeur, la hauteur », le cœur consolé et ébloui.
1ère Station : Tous prononcèrent qu’il méritait la mort
De l’Évangile selon Luc et selon Marc
Lorsqu’il fit jour, le conseil des Anciens du peuple se réunit, grands prêtres et scribes. Ils l’amenèrent devant leur tribunal (Lc 22, 66). Tous prononcèrent qu’il méritait la mort. Puis quelques-uns se mirent à lui cracher dessus, et à le gifler en disant : « Fais le prophète ». Et les valets le bourrèrent de coups. Puis, après l’avoir ligoté, ils l’emmenèrent chez Pilate (Mc14, 64-66).
Méditation
Il n’a pas fallu beaucoup de délibération aux hommes du sanhédrin pour se prononcer. Depuis longtemps déjà, la cause était entendue. Il faut que Jésus meure !
Ainsi pensaient déjà ceux qui voulaient le précipiter depuis l’escarpement de la colline, le jour où, dans la synagogue de Nazareth, Jésus avait déplié le rouleau en proclamant en son nom propre les mots du livre d’Isaïe (« L’Esprit de Dieu repose sur moi, l’Esprit de Dieu m’a consacré… pour annoncer une année de grâce de la part du Seigneur »).
Déjà, quand il avait guéri l’infirme à la piscine de Bethesda, inaugurant le shabbat de Dieu qui libère de toutes les captivités, les murmures homicides avaient enflé contre lui.
Et, dans la dernière ligne du chemin, tandis qu’il montait à Jérusalem pour la Pâque, l’étau s’était resserré, inexorablement : il n’échapperait plus à ses ennemis.
Mais il nous faut avoir la mémoire plus longue encore. Dès Bethléem, aux jours de sa naissance, Hérode avait décrété qu’il devait mourir. L’épée des sbires du roi usurpateur massacra les petits enfants de Bethléem. Jésus échappa alors à leur furie. Mais pour un temps seulement. Il n’était déjà plus qu’une vie en sursis. Dans les pleurs de Rachel sur ses enfants qui ne sont plus résonne, en sanglots, la prophétie de la douleur que Syméon annoncera à Marie.
Prière
Seigneur Jésus, toi le Fils bien-aimé, qui est venu nous visiter, passant parmi nous en faisant le bien, rendant à la vie ceux qui habitent l’ombre de la mort, tu sais nos cœurs tortueux.
Nous déclarons être amis du bien et vouloir la vie. Mais nous sommes pécheurs et complices de la mort.
Nous nous proclamons tes disciples, mais nous prenons des chemins qui se perdent loin de tes pensées, loin de ta justice et de ta miséricorde.
Ne nous abandonne pas à nos violences.
Que ta patience pour nous ne s’épuise pas.
Délivre-nous du mal !
Pater noster
« Ô mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi » (Impropères).
2ème Station : Renié par Pierre
De l’Évangile selon Luc
Environ une heure plus tard, un autre insistait : « C’est sûr, disait-il celui-là était avec lui ; et puis, il est Galiléen ». Pierre répondit : « Je ne sais pas ce que tu veux dire ». Et aussitôt, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre ; et Pierre se rappela la parole du Seigneur qui lui avait dit : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois ». Il sortit et pleura amèrement (Lc 22,59-62).
Méditation
Autour d’un brasero, dans la cour du sanhédrin, Pierre et quelques autres se réchauffent en ces heures froides de la nuit que traversent des allées et venues fiévreuses. À l’intérieur, le sort de Jésus va se jouer, dans le face à face avec ses accusateurs. C’est sa mort qu’ils vont exiger.
Comme une marée qui monte, l’hostilité enfle à l’entour. Comme l’étoupe s’enflamme, la haine prend et se multiplie. Bientôt une foule vociférante exigera de Pilate la grâce de Barrabas et la condamnation de Jésus.
Difficile de se déclarer ami d’un condamné à mort sans être traversé d’un frisson d’effroi. La fidélité intrépide de Pierre ne va pas résister aux paroles soupçonneuses de la servante, la portière du lieu.
Reconnaître qu’il est disciple du rabbi galiléen, ce serait faire plus de cas de la fidélité à Jésus que de sa propre vie ! Quand elle implique ce courage, la vérité a du mal à trouver des témoins… Les hommes sont faits ainsi que beaucoup lui préfèrent alors le mensonge, et Pierre est de notre humanité. Il trahit, à trois reprises. Puis il croise le regard de Jésus. Et ses larmes coulent, amères et pourtant douces, comme une eau qui lave une souillure.
Bientôt, dans quelques jours, auprès d’un autre feu de braise, sur le rivage, Pierre reconnaîtra son Seigneur ressuscité, qui lui confiera le soin de ses brebis. Pierre apprendra sans mesure le pardon que prononce le Ressuscité sur toutes nos trahisons. Et il recevra part à une fidélité qui, désormais, lui fera accepter sa propre mort comme une offrande jointe à celle du Christ.
Prière
Seigneur, notre Dieu, tu as voulu que ce soit Pierre, le disciple renégat et pardonné, qui reçoive la charge de guider ton troupeau.
Inscris dans nos cœurs la confiance et la joie de savoir que, en toi, nous pouvons traverser les ravins de la peur et de l’infidélité.
Fais que, instruits par Pierre, tous tes disciples soient les témoins du regard que tu portes sur nos défaillances. Que jamais, nos duretés ou nos désespoirs ne rendent vaine la Résurrection de ton Fils !
Pater noster
Christ mort pour nos péchés
Christ ressuscité pour notre vie,
Nous t’en prions, prends pitié de nous.
3ème Station : Pilate
De l’Évangile selon Marc et selon Matthieu
L’ayant amené et livré à Pilate, ils multipliaient contre lui leurs accusations. Pilate, voulant contenter la foule, leur relâcha Barabbas et, après avoir fait flageller Jésus, il le leur livra pour être crucifié (Mc 15,1.3.15).
Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme ; à vous de voir ! » (Mt 27,24)
« Nous tous, comme des moutons, nous étions errants, chacun suivant son propre chemin, et le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à tous » (Is 53,6).
Méditation
Rome de César Auguste, la nation civilisatrice, dont les légions se font une mission de conquérir les peuples, pour leur apporter les bienfaits de son ordre juste !
Rome, aussi, présente à la Passion de Jésus en la personne de Pilate, le représentant de l’empereur, le garant du droit et de la justice en terre étrangère…
Pourtant, le même Pilate qui déclare ne trouver aucun mal en Jésus est celui qui ratifie aujourd’hui sa condamnation à mort. Dans le prétoire où Jésus est en procès, la vérité éclate : la justice des païens n’est pas supérieure à celle du sanhédrin des Juifs !
Décidément ce Juste, qui concentre étrangement sur lui les pensées homicides du cœur humain, réconcilie Juifs et païens. Mais c’est, pour l’instant, en les faisant également complices du meurtre de Jésus.
Pourtant le temps vient – il est tout proche – où ce Juste les réconciliera autrement, par la Croix et par un pardon qui les rejoindra tous, Juifs et païens, les guérira ensemble de leurs lâchetés et les libèrera de leur commune violence.
Une seule condition pour avoir part à ce don : ce sera de confesser l’innocence du seul Innocent, l’Agneau de Dieu immolé pour le péché du monde.
Ce sera de renoncer à la suffisance qui murmure en nous : « Je suis innocent du sang de cet homme ». Ce sera de plaider coupable, dans la confiance qu’un amour infini nous enveloppe tous, juifs et païens, et que Dieu veut se faire des fils avec tous, Juifs et païens.
Prière
Seigneur, notre Dieu, face à Jésus livré et condamné, nous ne savons faire autre chose que de nous disculper et d’accuser les autres.
Si longtemps, ton Église aura chargé ton peuple Israël du poids de ta condamnation à mort.
Si longtemps, elle aura ignoré qu’il fallait que nous nous reconnaissions tous complices dans le péché, pour être tous sauvés par le sang de la croix de Jésus.
Donne-nous de reconnaître en ton Fils l’Innocent, le seul de toute notre histoire. Lui qui a accepté d’être « fait péché pour nous », afin que par lui tu puisses nous retrouver, humanité recréée dans l’innocence en laquelle tu nous créas, et en laquelle tu nous fais tes fils.
Pater noster
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
4ème Station : Le Roi de gloire
De l’Évangile selon Marc
Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur du palais. Ils le revêtirent de pourpre, puis, ayant tressé une couronne d’épines, il la lui mirent sur la tête. Ils se mirent à le saluer : « Salut roi des Juifs » (Mc 15,16-18).
Sans beauté ni éclat, et sans aimable apparence, objet de mépris et rebut de l’humanité, homme de douleurs et connu de la souffrance, comme ceux devant qui on se voile la face, il était méprisé et déconsidéré. Et nous autres, nous l’estimions châtié, frappé par Dieu et humilié (Is 53,2-4).
Méditation
Banalité du mal. Ils sont légion les hommes, les femmes, les enfants mêmes, violentés, humiliés, torturés, assassinés, sous tous les cieux, en chaque temps de l’histoire.
Sans chercher protection dans la condition divine qui est la sienne, Jésus prend place dans le terrible cortège des souffrances que l’homme inflige à l’homme. Il sait la déréliction des humiliés et des plus abandonnés.
Mais de quelle aide nous serait la souffrance d’un innocent de plus ?
Celui-là qui est l’un de nous est d’abord le Fils bien-aimé du Père, qui vient accomplir toute justice par son obéissance. Et soudain tous les signes s’inversent. Voilà que les paroles et les gestes de dérision de ses tortionnaires nous découvrent – ô paradoxe absolu – l’insondable vérité : celle de la vraie, de l’unique royauté, révélée comme celle d’un amour qui n’a rien voulu savoir d’autre que la volonté du Père et son désir que tous les hommes soient sauvés. « Tu ne voulais ni sacrifice, ni oblation, alors j’ai dit : voici je viens pour accomplir ta volonté » (Ps 40,7-8).
Cette heure du Vendredi saint le proclame : il est une seule gloire en ce monde et dans l’autre, qui est de connaître et d’accomplir la volonté du Père. Nul d’entre nous ne peut prétendre à plus haute dignité que celle d’être fils en Celui qui s’est fait obéissant pour nous jusqu’à la mort de la croix.
Prière
Seigneur, notre Dieu, nous t’en prions, en ce jour saint qui accomplit la révélation : renverse en nous et en notre monde les idoles.
Tu sais leur pouvoir sur nos esprits et sur nos cœurs.
Renverse en nous les figures mensongères de la réussite et de la gloire.
Renverse en nous les images sans cesse renaissantes d’un Dieu selon nos pensées, Dieu dangereux ou Dieu drapé de sacralité distante… si loin du visage révélé dans l’alliance et qui se découvre aujourd’hui en Jésus, au-delà de toute prévision, en excès de toute espérance.
Lui que nous confessons comme le « resplendissement de ta gloire » (He 1,3).
Fais-nous entrer dans la joie éternelle, qui nous fait acclamer en Jésus revêtu de pourpre et couronné d’épines, le roi de gloire que chante le psaume : « Portes, levez vos frontons, Élevez-vous portes éternelles, qu’il entre le roi de gloire » (Ps 24,9).
Pater noster
« Portes, levez vos frontons, Élevez-vous portes éternelles, qu’il entre le roi de gloire »
5ème Station : Portant sa croix
Du livre des Lamentations
Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur qui me tourmente… (Lm 1, 12)
Du Psaume 146
Heureux qui a l’appui du Dieu de Jacob et son espoir dans le Seigneur son Dieu… Le Seigneur délie les enchaînés, le Seigneur rend la vue aux aveugles, le Seigneur redresse les courbés, le Seigneur protège l’étranger, il soutient l’orphelin et la veuve (Ps 146,5…9).
Méditation
Sur le rude chemin du Golgotha, Jésus n’a pas porté la croix comme un trophée ! Il ne ressemble en rien aux héros de nos imaginations qui terrassent glorieusement des ennemis maléfiques.
Pas après pas, il a marché, le corps toujours plus pesant et plus lent. Il a éprouvé sa chair entamée par le bois du supplice, les jambes qui défaillent sous la charge.
Génération après génération, l’Église a médité ce chemin jalonné de trébuchements et de chutes. Jésus tombe, se relève, puis retombe, reprend la marche épuisante, probablement sous les coups des gardes qui l’escortent, puisque c’est ainsi que sont traités, maltraités, les condamnés en notre monde.
Celui qui a relevé les corps grabataires, redressé la femme courbée, arraché à son lit de mort la petite fille de Jaïre, remis debout tant d’accablés, le voici aujourd’hui effondré sur le sol poussiéreux.
Le Très Haut est à terre.
Fixons le regard sur Jésus. Par lui, le Très Haut nous enseigne qu’il est aussi, ô stupeur, le Très Bas, prêt à descendre jusqu’à nous, toujours plus bas s’il le faut, de sorte qu’aucun ne se perde dans les bas-fonds de sa misère.
Prière
Seigneur, notre Dieu, tu descends au fond de notre nuit, sans mettre de limite à ton humiliation, puisque c’est, en elle, que tu rejoins la terre souvent ingrate, parfois dévasée, de nos vies.
Donne à ton Église, nous t’en supplions, de témoigner que le Très Haut et le Très Bas sont un seul visage en toi.
Donne-lui de porter à tous ceux qui tombent la nouvelle de l’Évangile : aucune chute ne peut nous soustraire à ta miséricorde. Il n’existe aucune perte, aucun abîme qui soient trop profonds pour que tu ne puisses retrouver celui qui s’est égaré.
Pater noster
Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté.
6ème Station : Simon de Cyrène
De l’Évangile selon Luc
Comme ils l’emmenaient, ils mirent la main sur un certain Simon de Cyrène, le père d’Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs et le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus (Lc 23, 26).
De l’Évangile selon Matthieu
« Quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ? » (Mt 25, 37-39).
Méditation
Jésus trébuche sur le chemin, le dos écrasé sous le poids de la croix. Mais il faut aller de l’avant, marcher, et encore marcher, car c’est le Golgotha, le sinistre mont du Crâne, hors les murs de la ville, qui est le but de l’escadron qui presse Jésus.
Un homme est justement de passage, qui a les bras solides. À l’évidence, il est étranger aux événements du jour. Il rentre chez lui, ignorant tout de l’histoire du rabbi Jésus, quand il est réquisitionné par les gardes pour porter la croix.
Qu’aura-t-il su du condamné poussé par les gardes vers son supplice ? Que pouvait-il connaître de celui qui « n’avait plus figure humaine », tel le serviteur défiguré d’Isaïe ?
De sa surprise, d’une première objection peut-être, de la pitié qui l’a saisi, rien ne nous est dit. L’Évangile a seulement gardé mémoire de son nom, Simon, originaire de Cyrène. Mais l’Évangile a aussi voulu porter jusqu’à nous le nom de ce libyen et son pauvre geste de secours, pour nous enseigner qu’en soulageant la peine d’un condamné à mort, Simon a soulagé la peine de Jésus, le Fils de Dieu, qui croisa son chemin dans la condition d’esclave, endossée pour nous, endossée pour lui, pour le salut du monde. Sans qu’il le sache.
Prière
Seigneur, notre Dieu, tu nous as révélé qu’en chaque pauvre qui est nu, qui est prisonnier, qui est assoiffé, c’est toi qui te présente à nous, et c’est toi que nous recevons, visitons, revêtons ou désaltérons :
« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir » (Mt 25,39).
Mystère de ta rencontre avec notre humanité ! C’est ainsi que tu rejoins tout homme ! Nul n’est privé de cette rencontre, s’il consent à être un homme de compassion.
Nous te présentons, comme une offrande sainte, tous les gestes de bonté, d’accueil, de dévouement, qui sont accomplis chaque jour en notre monde.
Daigne les reconnaître comme la vérité de notre humanité, qui parle plus haut que tous les gestes de rejet ou de haine.
Daigne bénir les hommes et les femmes de compassion, qui te rendent gloire, même s’ils ne savent pas encore prononcer ton nom.
Pater noster
Christ mort pour nos péchés
Christ ressuscité pour notre vie,
Nous t’en prions, prends pitié de nous.
7ème Station : Filles de Jérusalem
De l’Évangile selon Luc
Le peuple, en grande foule, le suivait ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Mais se retournant vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi. Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants… Car si on traite ainsi le bois vert, qu’arrivera-t-il au bois sec » (Lc 23,27-28.31).
Méditation
Les pleurs que Jésus confie aux filles de Jérusalem comme une œuvre de compassion, ces pleurs des femmes ne manquent pas à notre monde.
Elles coulent silencieusement sur les joues des femmes. Plus souvent encore, probablement, de façon invisible, dans leur cœur, comme les larmes de sang dont parle Catherine de Sienne.
Non que les larmes reviennent aux femmes, comme si leur lot était d’être pleureuses passives et impuissantes, au milieu d’une histoire que les hommes, seuls, seraient censés écrire.
Car leurs pleurs sont aussi, et d’abord, toutes celles qu’elles recueillent, loin de tout regard et de toute célébration, dans un monde où il y a beaucoup à pleurer. Pleurs des petits enfants terrorisés, des blessés des champs de bataille en appel d’une mère, pleurs solitaires des malades et des mourants au seuil de l’inconnu. Pleurs de désarroi, qui ruissellent sur la face de notre monde qui fut créé, au premier jour, pour des larmes de joie, dans la jubilation de l’homme et de la femme ensemble.
Et même, Etty Hillesum, femme forte d’Israël demeurée debout dans la tourmente de la persécution nazie, qui aura plaidé jusqu’au bout la bonté de la vie, nous souffle à l’oreille ce secret qu’elle devine au terme de sa route : il y a des larmes à consoler sur le visage de Dieu, quand il pleure sur la misère des siens.
Dans l’enfer qui engloutit le monde, elle ose prier Dieu : « Je vais essayer de t’aider », lui dit-elle. Audace si féminine et si divine !
Prière
Seigneur, notre Dieu, « Dieu de tendresse et de pitié, Dieu plein d’amour et de fidélité », apprends-nous, dans les jours heureux, à ne pas mépriser les larmes des pauvres qui crient vers toi et qui nous appellent au secours. Apprends-nous à ne pas passer indifférents auprès d’eux. Apprends-nous à oser pleurer avec eux.
Apprends-nous aussi, dans la nuit de nos peines, de nos solitudes et de nos déceptions, à entendre la parole de grâce que tu nous révélas sur la montagne : « Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ».
Pater noster
Christ mort pour nos péchés
Christ ressuscité pour notre vie,
Nous t’en prions, prends pitié de nous.
8ème Station : Les vêtements
De l’Évangile selon Jean
Ils prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chaque soldat, et la tunique (Jn19, 23).
Le Fils de l’homme s’en va comme il est venu : sorti nu du sein de sa mère, il s’en ira comme il était venu (cf. Qo 5, 14 ; Jb 1, 21).
Méditation
Le corps humilié de Jésus pend au bois de la croix. Exposé aux regards de dérision et de mépris. Le corps de Jésus labouré de plaies et destiné à l’ultime supplice de la crucifixion. Humainement, qu’y aurait-il à faire d’autre que de baisser les yeux pour ne pas ajouter à son déshonneur ?
Mais l’Esprit vient au secours de notre désarroi. Il nous apprend à entendre la langue de Dieu, langue de la kénose, cet abaissement de Dieu pour nous rejoindre là où nous sommes.
C’est cette langue de Dieu que parle pour nous le théologien orthodoxe Christos Yannaras : « Langue de la kénose : Jésus enfant nu dans la crèche, dénudé dans le fleuve, recevant le baptême comme un serviteur, suspendu à l’arbre de la croix, nu, comme un malfaiteur. C’est par tout cela qu’il a manifesté son amour pour nous ».
Entrant dans ce mystère de grâce, nous pouvons rouvrir les yeux sur le corps supplicié de Jésus.
Alors nous commençons à discerner ce que notre œil ne peut voir : sa nudité rayonne de la même lumière que celle dont irradiait son vêtement, lors de la Transfiguration.
Lumière qui fait reculer toute ténèbre.
Lumière irrésistible de l’amour jusqu’au bout.
Prière
Seigneur notre Dieu, nous plaçons sous tes yeux la foule immense des hommes qui subissent la torture, l’affreux cortège des corps maltraités, tremblant d’angoisse à l’approche des coups, agonisant dans des bas-fonds sordides.
Recueille leur plainte, nous t’en supplions.
Le mal nous laisse sans voix et sans secours.
Mais toi tu sais ce que nous ne savons pas. Tu sais trouver un passage dans le chaos et la noirceur du mal. Tu sais faire éclater déjà, dans la Passion de ton Fils bien-aimé, la vie de la résurrection.
Augmente en nous la foi !
Nous te présentons aussi la folie des tortionnaires et de leurs commanditaires.
Elle aussi nous laisse sans voix.
… Sauf à te prier et à t’implorer dans les larmes et les mots de la prière que tu nous as enseignée : « Délivre-nous du mal » !
Pater noster
Christ mort pour nos péchés
Christ ressuscité pour notre vie,
Nous t’en prions, prends pitié de nous.
9ème Station : Ils le crucifièrent
De l’Évangile selon Luc
Là ils le crucifièrent, ainsi que des malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Jésus disait : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 33-34).
Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison (Is 53,5).
Méditation
Vraiment Dieu est là où il ne devrait pas être !
Le Fils bien-aimé, le Saint de Dieu, est ce corps exhibé sur une croix d’infamie, livré au déshonneur, entre deux malfaiteurs. Homme de douleur dont on se détourne. À vrai dire, comme on se détourne de tant d’êtres humains défigurés que croisent nos chemins.
Le Verbe de Dieu, en qui tout fut créé, n’est plus qu’une chair muette et souffrante. La cruauté de notre humanité s’est déchainée contre lui, et elle a vaincu.
Oui, Dieu est là où il ne devrait pas être et où, pourtant, nous avons tellement besoin qu’il soit !
Il était venu, non pas pour mourir, mais pour nous partager sa vie. « Prenez ! » n’a-t-il cessé de dire en offrant sa guérison aux infirmes, son pardon aux cœurs égarés, son corps au repas de la Pâque.
Mais il s’est retrouvé entre nos mains, en territoire de mort et de violence. Celle qui nous sidère dans l’actualité du monde. Celle aussi qui rôde en chacun : les frères de Tibhirine le savaient bien eux qui ajoutaient à leur prière « Désarme-les ! », l’imploration « Désarme-nous ! ».
Il fallait que la douceur de Dieu visite nos enfers, seul moyen de nous délivrer du mal.
Il fallait que le Christ Jésus importe l’infinie tendresse de Dieu au cœur du péché du monde.
Il fallait cela, afin qu’exposée à la vie de Dieu, la mort recule et s’effondre, comme un ennemi qui a trouvé plus fort que lui et qui disparaît dans le néant.
Prière
Seigneur, notre Dieu, accueille notre louange silencieuse.
Comme les rois qui restent sans voix devant l’œuvre du serviteur que la prophétie d’Isaïe révèle, nous sommes dans la stupéfaction devant l’Agneau immolé pour notre vie et celle du monde. Nous confessons que par tes blessures, nous sommes guéris.
« Que rendrai-je au Seigneur pour le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut… je t’offrirai le sacrifice d’action de grâces, et j’invoquerai le nom du Seigneur » (Ps 115, 12-17).
Pater noster…
Christ mort pour nos péchés
Christ ressuscité pour notre vie,
Nous t’en prions, prends pitié de nous.
10ème Station : Sauve-toi toi-même
De l’Évangile selon Luc
Les chefs se moquaient : Il en a sauvé d’autres. Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu ! ». Les soldats aussi le tournaient en dérision. Ils disaient : « Si tu es le roi des juifs, sauve-toi toi-même ». L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’insultait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! » (Lc 23,35-39).
« Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de se changer en pain … Si tu le Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas… Car il est écrit : « Les anges te porteront de leurs mains » (Lc 4,3 et 9-11).
Méditation
Jésus n’aurait-il pas pu descendre de la croix ? Nous osons à peine nous formuler cette question. L’Évangile ne la met-il pas dans la bouche des impies ?…
Pourtant, elle nous hante, à la mesure même dont nous appartenons encore au monde de la tentation, que Jésus a affrontée durant les quarante jours au désert, porche et ouverture de son ministère. « Si tu es le Fils de Dieu change ces pierres en pain, jette-toi du haut du temple…, puisque Dieu veille sur son ami… ».
Mais, à la mesure dont, baptisés dans la mort et dans la résurrection du Christ Jésus, nous le suivons sur son chemin, les défis du Malin n’ont plus de prise sur nous. Ils sont réduits à néant, leur mensonge est dévoilé.
Alors se découvre l’impérieuse nécessité du « il fallait », que Jésus enseigne patiemment et ardemment aux marcheurs du chemin d’Emmaüs.
« Il fallait… » que le Christ soit dans cette obéissance et cette impuissance, pour nous rejoindre dans l’impuissance, où nous a mis notre désobéissance.
Et nous commençons à concevoir que « seul un Dieu faible peut nous sauver », comme l’écrivait le pasteur Dietrich Bonhoeffer, aux derniers mois de sa vie assassinée, quand éprouvant jusqu’au bout la puissance du mal, il pouvait ramasser, en cette vérité simple et vertigineuse, la confession de foi chrétienne.
Prière
Seigneur, notre Dieu, qui nous délivrera des pièges de la puissance selon le monde ? Qui nous libérera de la tyrannie des mensonges, qui nous font exalter les puissants et courir nous-mêmes après les fausses gloires ?
Toi seul peux convertir nos cœurs.
Toi seul peux nous faire aimer les voies de l’humilité.
Toi seul…, qui nous révèles qu’il n’est de victoire que dans l’amour, et que tout le reste n’est que paille que le vent disperse, mirage qui s’évanouit sous ta vérité.
Nous t’en prions, Seigneur, dissipe les mensonges qui veulent régner sur nos cœurs et sur le monde.
Fais-nous vivre selon tes voies, pour que le monde reconnaisse la puissance de la Croix.
Pater noster…
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
11ème Station : Près de la croix, sa mère
De l’Évangile selon Jean
Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère, la sœur de sa mère, Marie femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils ». Puis, il dit au disciple : « Voici ta mère ». À partir de cette heure, le disciple la prit chez lui (Jn 19,25-27).
Méditation
Marie, elle aussi, est parvenue au terme du chemin. La voici arrivée à ce jour dont parlait le vieillard Siméon. Lorsqu’il avait élevé dans ses bras tremblants le petit enfant et que son action de grâces s’était prolongée par des mots mystérieux, qui tissaient ensemble drame et espérance, douleur et salut.
« Vois !, avait-il déclaré, cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, – et toi-même un glaive te transpercera l’âme ! – afin que se révèlent les pensées intimes d’un grand nombre » (Lc 22, 34-35).
Déjà la visite de l’ange avait fait retentir dans son cœur l’incroyable annonce : Dieu avait choisi sa vie pour faire éclore la nouveauté promise à Israël, « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu ». Et elle avait consenti à ce projet divin, qui commencerait par bouleverser sa chair, qui accompagnerait ensuite l’enfant né de son sein sur des voies imprévisibles.
Au long des jours si ordinaires de Nazareth, puis au temps de la vie publique, quand il avait fallu faire place à l’autre famille, celle des disciples, ces étrangers dont Jésus se faisait des frères, des sœurs, une mère, elle avait gardé ces choses dans son cœur. Elle les avait remises à la longue patience de sa foi.
Aujourd’hui est le temps de l’accomplissement. Le glaive qui perce le côté du Fils perce aussi son cœur. Marie aussi s’enfonce dans la confiance sans appui, où Jésus vit jusqu’au bout l’obéissance au Père.
Debout, elle ne déserte pas. Stabat Mater. Elle sait, de nuit, mais de certitude, que Dieu tient promesse. Elle sait, de nuit, mais de certitude, que Jésus est la promesse et son accomplissement.
Prière
Marie, mère de Dieu et femme de notre race, toi qui nous engendres maternellement en celui que tu as engendré, soutiens en nous la foi aux heures de ténèbres, apprends-nous l’espérance contre toute espérance.
Garde toute l’Église dans une veille fidèle, comme le fut ta fidélité, humblement docile aux pensées de Dieu, qui nous attirent là où nous ne penserions pas aller, qui nous associent, par-delà toute prévision à l’œuvre du salut.
Pater noster
Salve, Regina, mater misericordiae ;
Vita, dulcedo et spes nostra, salve.
12ème Station : Tout est achevé
De l’Évangile selon Jean
Jésus dit : « J’ai soif ». Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d’une branche d’hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit « C’est achevé » et, inclinant la tête, il remit l’esprit.
Venus à Jésus, les soldats virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté, il sortit aussitôt du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage – son témoignage est véridique, et celui-là sait qu’il dit vrai – pour que vous aussi, vous croyiez (Jn 19, 28…35).
Méditation
Maintenant, tout est achevé. La tâche de Jésus est accomplie. Il était sorti du Père pour la mission de la miséricorde. Celle-ci a été remplie avec une fidélité qui aura été jusqu’au bout de l’amour. Tout est accompli. Jésus remet son esprit entre les mains du Père.
Apparemment, il est vrai, tout semble s’abîmer dans le silence de la mort qui tombe sur le Golgotha et les trois croix dressées. En ce jour de la Passion qui va vers sa fin, pour qui passe par ce chemin y aurait-il autre chose à comprendre que l’échec de Jésus, la ruine d’une espérance qui avait rendu cœur à beaucoup, consolé les pauvres, relevé les humiliés, laissé entrevoir aux disciples que le temps était venu où Dieu accomplissait les promesses annoncées par ses prophètes ? Tout cela paraissait perdu, ruiné, effondré.
Pourtant, au milieu de tant de déception, voilà que l’évangéliste Jean fixe nos yeux sur un détail minuscule et s’y arrête avec solennité. De l’eau et du sang coulent du côté du Crucifié. Ô étonnement ! La blessure ouverte par la lance du soldat est passage pour de l’eau et du sang, qui nous parlent de vie et de naissance.
Le message est infiniment discret, mais tellement éloquent pour les cœurs qui ont un peu de mémoire. Du corps de Jésus jaillit la source que le prophète a vu sortir du Temple. La source qui grossit et se change en un fleuve puissant, dont les eaux assainissent et font fructifier tout ce qu’elles touchent sur leur passage. Jésus n’avait-il pas désigné un jour son corps comme le temple nouveau ? Et le « sang de l’alliance » accompagne l’eau. Jésus n’avait-il pas parlé de sa chair et de son sang comme nourriture pour la vie éternelle ?
Prière
Seigneur, Jésus, en ces jours saints du mystère pascal renouvelle en nous la joie de notre baptême.
Quand nous contemplons l’eau et le sang qui coulent de ton côté, enseigne-nous à reconnaître de quelle source notre vie est engendrée, de quel amour ton Église est édifiée, pour quelle espérance à partager au monde tu nous as élus et tu nous envoies.
« Ici et là source de vie qui lave tout l’univers, jaillissant de la plaie du Christ » : que notre baptême soit notre seule gloire, dans une action de grâces émerveillée.
Pater noster…
Digne est l’Agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange, dans les siècles des siècles ! Amen !
13ème Station : Pietà
De l’Évangile selon Luc
Ayant descendu le corps, Joseph le roula dans un linceul et le mit dans une tombe taillée dans la pierre, où personne encore n’avait été placé (Lc 23,53).
Méditation
Gestes de sollicitude et d’honneur pour le corps profané et humilié de Jésus. Des hommes et les femmes se retrouvent au pied de la croix. Joseph, originaire d’Arimathie, « homme bon et juste », qui réclame le corps à Pilate, rapporte saint Luc, Nicodème, le visiteur du soir, ajoute saint Jean. Et des femmes, obstinément fidèles, regardent.
La méditation de l’Église a aimé leur adjoindre la Vierge Marie si vraisemblablement présente, elle aussi, à cet instant.
Marie, Mère de pitié, qui reçoit dans ses bras le corps né de sa chair et tendrement, discrètement accompagné au long des années, comme une mère demeure dans le souci de son enfant.
Désormais, c’est un corps immense qu’elle recueille, à la mesure de sa douleur, à la mesure de la création nouvelle qui s’enfante de la passion d’amour qui a traversé le cœur du fils et de la mère.
Dans le grand silence qui s’est installé après les vociférations de la troupe, les quolibets des passants et les bruits de la crucifixion, les gestes ne sont plus maintenant que douceur, caresse de respect. Joseph descend le corps qui s’abandonne entre ses bras. Il l’enveloppe dans un linceul, le dépose à l’intérieur du tombeau tout neuf, qui attend son hôte dans le jardin tout proche.
Jésus a été arraché aux mains de ses meurtriers. Désormais, dans la mort, il se retrouve entre celles de la tendresse et de la compassion.
La violence des hommes homicides a reflué très loin. La douceur a fait retour au lieu du supplice.
Douceur de Dieu et de ceux qui lui appartiennent, ces cœurs doux auxquels Jésus promit un jour qu’ils posséderaient la terre. Douceur originelle de la création et de l’homme à l’image de Dieu. Douceur du terme, quand toute larme sera séchée, tandis que le loup habitera avec l’agneau, parce que la connaissance de Dieu aura rejoint toute chair.
Chant à Marie
Ô Marie, ne pleure plus : ton fils, notre Seigneur, s’endort dans la paix. Et son Père, dans la gloire, ouvre les portes de la vie !
Ô Marie, réjouis-toi : Jésus ressuscité a vaincu la mort !
Pater noster…
En ta paix, Seigneur, je me couche et m’endors.
Je m’éveille : tu es mon soutien.
14ème station : Elles préparèrent aromates et parfums
De l’Évangile selon Luc
Cependant des femmes qui étaient venues avec Jésus de Galilée avaient suivi Joseph ; elles regardèrent le tombeau et comment son corps avait été mis. Puis elles s’en retournèrent et préparèrent aromates et parfums et le sabbat, elles se tinrent en repos, selon le précepte (Lc23, 55-56).
Méditation
Les femmes s’en sont retournées. Celui qu’elles avaient accompagné, marcheuses endurantes et secourables sur les routes de Galilée, celui-là n’est plus. Il ne leur laisse pour compagnie, ce soir, que la vision qu’elles emportent de son tombeau et du linceul où il repose maintenant. Pauvre et précieux souvenir de jours fervents anéantis. Solitude et silence. D’ailleurs, le shabbat approche, qui convie Israël à chômer, comme Dieu chôma, quand la création fut achevée, accomplie sous sa bénédiction.
C’est d’un autre achèvement qu’il s’agit aujourd’hui. Pour l’heure caché et impénétrable. Shabbat où se tenir aujourd’hui immobile, dans le recueillement du cœur et de la mémoire voilée de larmes. En préparant aussi les parfums et les aromates dont elles feront leur dernier hommage à son corps, demain, au petit jour.
Mais s’apprêtent-elles seulement, par ce geste, à embaumer leur espérance ?
Et si Dieu avait préparé une réponse à leur sollicitude qu’elles ne peuvent deviner, imaginer, pressentir même… La découverte d’un tombeau vide…, l’annonce qu’il n’est plus ici, parce qu’il a brisé les portes de la mort…
Prière
Seigneur notre Dieu, daigne voir et bénir tous les gestes des femmes qui honorent dans notre monde la fragilité des corps qu’elles entourent de douceur et d’honneur.
Et nous, qui t’avons accompagné sur ce chemin de l’amour jusqu’au bout, daigne nous garder, avec les femmes de l’Évangile, dans la prière et dans l’attente que nous savons exaucées par la résurrection de Jésus, que ton Église s’apprête à célébrer dans l’exultation de la nuit pascale.
Pater noster…
À lui gloire et puissance dans les siècles des siècles ! Amen !
Source : https://fr.zenit.org/articles/chemin-de-croix-au-colisee-texte-integral-des-meditations-danne-marie-pelletier/