Le crépuscule tombait sur Bethléem… Était-ce la froidure particulière qui incitait les habitants à garder leur porte close ou bien le cœur de ces gens était-il particulièrement froid et fermé ?
De fait, nul ne répondait aux appels timides et angoissés de l’homme aux pauvres habits, au visage noble et maigre, qui conduisait un petit âne, lequel semblait porter avec peine une petite femme à l’adorable visage fait de douceur et de lumière. L’homme demandait un gîte… même pas un abri pour la nuit… Nul ne répondait, si ce n’est avec des paroles dures et menaçantes… Et le petit groupe, triste et exténué, voyait les dernières maisons de Bethléem se présenter à ses yeux…
Sur le seuil d’une porte se tenait une petite forme blanche, assise immobile sur une jatte renversée. Aucune vie ne semblait l’agiter, mais les lèvres frémissaient sous l’ardente prière qui chaque soir montait du cœur d’Ismaïla, la fille du potier ; et ce petit cœur disait :
« Quand viendra-t-il ? Seigneur tout-puissant, quand viendra-t-il ? Celui que Vous nous avez promis, le Messie, quand viendra-t-il ? Si peu de chose que je sois, mon Dieu, je serai la première à L’adorer… et à le servir. »
Depuis quelques minutes, l’homme et la femme étaient arrêtés devant Ismaïla qui n’avait pas levé la tête. Ils avaient entendu le murmure de l’enfant, et des yeux de la jeune femme deux perles brillantes glissaient, tandis qu’un doux sourire éclairait ses traits fatigués. L’homme, ému lui aussi, posa sa main sur la tête de l’enfant en lui disant tout bas :
« Espère, enfant. Celui que tu attends ne saurait tarder… »
Saisie, la fillette s’était dressée et, dans l’obscurité, ouvrait désespérément des yeux sans vie et sans couleur… Quelle était cette fugitive présence où il avait semblé à Ismaïla respirer un parfum de miracle ?
« Hélas murmura-t-elle en retombant sur son siège, hélas ! Mon Dieu, comment pourrai-je le servir avec des yeux sans vie ? »
Car la petite fille du potier était aveugle.
« Minuit : le miracle est sur terre. Levez-vous, bergers, levez-vous, hommes au cœur pur, réjouissez-vous : le Seigneur vient de naître ! Venez L’adorer… Suivez la scintillante étoile qui vous conduira à une lieue de Bethléem…
L’étable qui s’y trouve a misérable apparence, mais c’est là, bergers, c’est là, rois, que le Berger des âmes, que le Roi du monde est né ! Réjouissez-vous ! »
La nuit orientale résonne de mille chants doux et mystérieux ; le parfum du miracle se répand : tout à l’entour sur les collines les bergers se lèvent, prennent de tendres agneaux dans leurs bras, et, les yeux fixés sur l’étoile sainte, ils s’acheminent vers le lieu qu’elle indique.
Dans la maison du potier, sur sa couche de paille, une petite fille qui ne dormait pas a perçu les chants ! Son cœur a tressailli en devinant que le miracle s’était réalisé ; et tout doucement, Ismaïla, petite forme blanche, se glisse hors de la maison dans l’obscurité doublement noire pour elle.
Elle va, la petite fille, vers Celui qu’elle attendait, auquel elle s’est déjà donnée de tout son cœur. Elle n’a pour se guider que le tintement des clochettes des troupeaux. Elle marche, butant contre les pierres du chemin, se griffant aux épines des cactus et des ronces… Vaillante, elle va toujours, ne voulant rien sentir que la joie de son âme…
Mais voilà une heure que les petits pieds nus foulent un sol pierreux… ils sont ensanglantés, et soudain Ismaïla sent une cruelle fatigue l’envahir. Où est-elle ? Où sont les tintements des troupeaux ? Où sont les chants de la nuit ? Plus rien que le silence profond, le silence noir qui enveloppe la petite fille. Exténuée, sentant qu’elle s’est perdue pour n’avoir pu comme les bergers suivre l’étoile sûre, elle tombe sur le chemin et pleure…
Elle ne pourra aller adorer le Sauveur… Elle ne pourra aller Lui faire offrande de son cœur. Et les larmes coulent, désespérées, de ses pauvres yeux morts… C’est alors qu’en cette nuit divine un second miracle s’accomplit. De la nuit, deux étoiles se détachèrent et lentement descendirent vers la petite forme blanche… Elles disparurent entre les doigts qui pressaient les pauvres paupières meurtries et… quand, tout à coup redressée et reposée, Ismaïla retira ses doigts, ce fut pour « voir » le ciel criblé de diamants, la nuit magnifiquement sereine et tout près d’elle une petite étable autour de laquelle, silencieux et prosternés, se tenaient les bergers.
Et dans la paille se trouvait un adorable petit Enfant que Marie, au lumineux sourire, veillait avec amour… À un certain moment, l’Enfant se tourna vers la petite forme blanche glissée tout près de Lui entre deux agneaux.
Et Jésus sourit à Ismaïla dont les yeux, en le contemplant, brillaient comme des étoiles…
Nette Jean.
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