C’était le soir de Noël. L’horloge du clocher venait de sonner 23 heures. Peu après, les cloches appelaient les fidèles. Le vent froid de la nuit renvoyait la joyeuse invitation à la messe, minuit à travers les ruelles du village de Moncada, par-delà les rizières et les orangeraies au loin jusqu’à la ville de Valences. Quittant, les riches, leurs châteaux et les pauvres, leurs chaumières, ces Espagnols habitués au soleil sous la bise glacée se mirent en route. Rien au monde n’aurait pu les chasser de leurs logis douillets ; mais par amour de l’Enfant-Jésus, ils marchaient sans hésitation, frissonnants dans le noir. Même de petits enfants, force de volonté, bien emmitouflés dans leurs lainages, marchaient un peu somnolents, mais avec d’autant plus de mérite côté des parents, vers l’église.
Voici déjà que dans le premier banc s’agenouillait une jolie petite paysanne de cinq ans, avec sa maman. Toute animée du désir d’admirer l’Enfant-Jésus avec Marie, Joseph, les anges, crèche, les bergers, et toutes les petites lumières, elle avait pressé la famille à partir vers l’église. Brillants de bonheur, ses yeux noirs et vifs allaient d’un berger à l’autre, admiraient Marie et Joseph dans la pauvre étable installée sur l’autel latéral de gauche. Tout à coup la petite poussa sa maman et demanda :
« La crèche est vide, où est donc l’Enfant-Jésus ?
– Après la messe, monsieur le Curé l’y mettra. Alors tu le verras. Attends un peu et sois bien sage. »
Le pasteur, lui, n’avait pas tellement le cœur à la fête. C’était un noble prêtre, très consciencieux, mais parfois trop craintif. Il était tourmenté par des incertitudes sur la validité de son ordination, du fait qu’elle avait eu lieu dans cette période particulièrement difficile de l’Église qui était alors sous le pontificat d’un antipape. Et il priait Dieu de le délivrer de ses doutes. Il se confia à son évêque et alla jusqu’à le prier de l’ordonner une seconde fois s’il le fallait, pour en finir avec ses scrupules.
Alors la messe commença. Arrivé à la consécration, le prêtre prononça les paroles consécratoires avec une grande crainte respectueuse, et présenta la blanche hostie à l’adoration des fidèles.
Un grand silence régnait dans le lieu saint où tous étaient à genoux et adoraient dans la foi le Christ présent. Soudain on entendit une voix enfantine :
« Regarde, maman quel bel Enfant. Regarde donc ! »
Mais la brave paysanne ne vit rien d’autre que la sainte hostie. Effrayée de la perturbation, elle s’efforça de faire taire sa petite Inès : obéissante, la petite de cinq ans se retint d’exprimer sa joie, mais son regard émerveillé resta fixé sur l’Enfant qu’elle vit distinctement dans la main du prêtre et sur l’autel jusqu’à la communion. Quand le prêtre consomma l’hostie, l’Enfant disparut.
Les yeux noirs si vifs de l’enfant le cherchèrent en vain sur l’autel. Inès voulait toujours communiquer à sa mère ce qu’elle avait vu, mais celle-ci lui ordonna de se taire :
« Sois tranquille maintenant, car bientôt, après la messe, le prêtre déposera l’Enfant-Jésus dans la crèche, alors tu le verras ! »
En effet, le prêtre vint déposer une statue de l’Enfant-Jésus dans la crèche, pendant que les fidèles chantaient. Alors que petits et grands considéraient le bel Enfant-Jésus, Inès se tourna vers sa mère, toute bouleversée :
« Maman, mais ce n’est pas du tout l’Enfant-Jésus vivant que j’ai vu avant sur l’autel ! »
La paysanne secoua la tête : quelle surprenante imagination a donc cette nuit sa petite fille ? Auparavant elle était toujours sage à l’église.
« Prie, mon enfant, et sois enfin tranquille. »
Inès alors joignit à nouveau ses petites mains, car aussitôt commença la deuxième messe de Noël. Mais après les paroles de la consécration, le petit index droit d’Inès se pointa à nouveau en l’air :
« Maman, regarde ! Là-bas, le petit Enfant-Jésus est de nouveau sur l’autel dans les mains du prêtre. Oh ! Comme il est beau ! Il remue et me sourit. Maman, ne le vois-tu donc pas ? »
De fait, la petite Inès vivait pour la deuxième fois le même miracle, jusqu’à ce que l’Enfant-Jésus disparût à nouveau à la communion du prêtre. À la troisième messe également, elle eut la même grâce. Quelques fidèles avaient eu l’attention attirée par les paroles d’Inès, et ils vinrent l’interroger après la messe. Remplie de joie, Inès leur détailla l’aspect de l’Enfant-Jésus et comment il avait regardé et béni les gens.
La nouvelle de ce merveilleux événement se répandit bientôt dans le village et dans tous les environs. Le prêtre lui-même l’apprit et fit appeler Inès. Elle répondit à toutes les questions avec une simplicité candide sans se laisser démonter ni embarrasser par les objections. À travers ses grands yeux innocents et ses simples réponses brillait la vérité irrécusable. Avec bonheur, le prêtre reconnut dans cette merveilleuse apparition pendant ses messes un signe plein de tendresse de la part de Dieu lui montrant ainsi la légitimité de son ordination et la validité de la consécration eucharistique. Pourtant il ne voulut pas être trop imprudent et crédule.
Dans sa grande perplexité, il médita en silence une épreuve pour Inès. Après quelques jours, alors que la petite, à son habitude, vint à nouveau pour assister à la messe, le prêtre prit trois grandes hosties et vint à l’autel. Il ne consacra cependant que deux hosties, ayant laissé dès le début la troisième de côté sans la consacrer. À la communion il consomma l’une des deux hosties consacrées, et plaça l’autre hostie devant lui, à côté de celle qui n’avait pas été consacrée. Puis il fit venir Inès sur les marches de l’autel et, lui montrant les deux hosties, il lui demanda :
« Vois-tu encore maintenant l’Enfant-Jésus ? »
Aussitôt l’enfant pointa son doigt sur l’Hostie consacrée et s’écria, rayonnante :
« Oh, oui ! Dans cette Hostie, je vois l’Enfant-Jésus, mais pas dans l’autre. Oh ! Comme c’est beau ! Comme c’est beau ! » Alors le prêtre ne put ni ne voulut douter encore. Ému, il remercia le Seigneur Jésus de l’avoir libéré de ses scrupules par un miracle évident. Inès entra plus tard dans un couvent pauvre, et vécut pieusement et saintement dans une stricte pénitence.
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