C’est une foule considérable qui entend Jésus s’écrier : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ! » Dans le Temple, on fait cercle autour des apôtres qui racontent l’un ou l’autre de ses prodiges. On se disperse en répétant : « Lorsque le Messie viendra, fera-t-il plus de miracles que celui-ci en fait ? Elle est finie, la fête des Tentes. Peu à peu, la ville se vide. On abat les cabanes, on démonte les tentes, les gens de Jérusalem retrouvent leur demeure. Pour les prêtres, quel étonnement, de voir paraître une nouvelle fois Jésus au Temple ! Quoi ! Il est encore là ? Il n’est pas rentré chez lui ?
Très vite, les gens présents dans l’enceinte sacrée accourent. « Et tout le peuple venait à lui, dit Jean. S’étant assis, il les enseignait ». Soudain, s’élève un grand tumulte. Au-dehors, on discerne des cris, des injures. Voici que des hommes vociférants, la face empourprée de colère, font irruption dans la salle. Ils traînent avec eux, par le col de sa robe, une femme épouvantée, hagarde, plus morte que vive, qu’ils jettent brutalement aux pieds de Jésus. Terrifiée, la foule se tait.
Ces hommes sont des pharisiens. La femme qui sanglote, là, effondrée sur le dallage, est une femme mariée qui s’est laissée aller à écouter les paroles d’amour d’un autre que son époux.
Jésus regarde ces hommes. Jésus regarde cette femme. Il ne dit pas un mot, ne prononce pas une parole. Impressionnant, ce silence, et plus encore l’immobilité en laquelle il s’est figé. Mais rien ne peut apaiser les pharisiens tout à leur haine et sûrs – aussi – qu’ils « tiennent » enfin Jésus. L’un d’eux lui crie au visage :
- Cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ?
La foule retient son souffle. Il n’est pas un seul de ceux qui se trouvent là qui n’ait compris combien le piège que l’on tend à Jésus se révèle redoutable. Va-t-il recommander de faire grâce à la femme, lui qui répète sans cesse que tout coupable peut-être pardonné ? C’est ce à quoi s’attendent les pharisiens. Mais, dans ce cas, il va se mettre en contradiction avec la Loi de Moïse : un crime !
Vous savez ce qu’était le supplice de la lapidation ? On entourait le ou la coupable, chacun se saisissait d’une pierre, la lançait. On visait de préférence à la tête. Tout dépendait de l’adresse des participants. Il arrivait, sous les coups, que la malheureuse ou le malheureux mette longtemps à mourir avant qu’une pierre – enfin – lui écrase le crâne.
Jésus, toujours assis, s’est incliné vers le dallage. Il semble indifférent à tout. Même, le voici qui trace sur le sol avec un doigt une inscription que nul ne peut lire.
Voilà qui ne fait pas l’affaire des pharisiens. Ils élèvent la voix, exigent que Jésus réponde :
- Alors, que dis-tu ?
Lentement, il se redresse. La foule, haletante, attend. Il dit seulement :
- Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre !
La femme a levé la tête et l’enveloppe d’un regard stupéfait. Lui se penche de nouveau vers le sol et se remet à écrire.
Quel homme, même pharisien, aurait osé se croire sans péché ? Le plus vieux de ceux qui ont amené la femme s’en va le premier en baissant la tête. Un à un, les autres l’imitent. La foule elle-même se sent de trop et se retire.
Il ne reste plus, dans la salle du Temple, que Jésus et la femme adultère, prostrée à ses pieds.
Jésus s’est levé.
- Femme, dit-il, où sont ceux qui t’accusaient ? En est-il un seul qui t’ait condamnée ?
Peut-être l’esquisse d’un sourire est-elle apparue sur ce visage baigné de larmes :
- Personne, Seigneur.
Alors, Jésus :
- Moi non plus je ne te condamne pas.
Il passe près d’elle. Dans les yeux de la femme se lit une reconnaissance éperdue. Aussi la certitude qu’elle ne retombera pas dans ses fautes.
- Va, ajoute Jésus. Et ne pèche plus.
Un geste d’adieu. Il s’éloigne.
Source : Alain Decaux raconte Jésus aux enfants.
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