Pierre vivait pauvrement dans une vieille maison avec son père, sa mère, ses cinq frères et ses cinq sœurs. Dans cette maison, il y avait une petite cuisine avec un vieux fourneau qui fumait et des vieilles casseroles cabossées. C’est là que Pierre était le plus souvent, car il adorait cuisiner. Il savait préparer des plats délicieux avec des choses simples : il pouvait transformer des pommes de terre en gâteaux, des poires en sirop, des carottes en purée rose… Avec Pierre, chaque repas devenait une fête. Pourtant, une année, l’hiver fut très long. Pierre ne trouvait que des vieux croûtons de pain à mettre dans ses casseroles et toute sa famille avait faim. Un matin, Pierre dit à son père :
- Je vais aller en ville pour chercher du travail. Avec l’argent que je gagnerai, je pourrai acheter de quoi manger.
Justement, ce jour-là, un messager du roi arrive dans le village de Pierre. Il tape sur un tambour et il déclare :
- Avis à la population ! Le roi de ce pays, Sa Très Gourmande Majesté, a décidé de changer de cuisinier. Celui qui fera le plus délicieux des plats sera nommé Grand Chef des Cuisines du Roi.
En entendant cela le père de Pierre s’écrie :
- Pierre, voilà une chance pour toi ! Enlève ton tablier, laisse tes vilaines casseroles et va faire goûter au roi une recette dont tu as le secret.
Pierre répond en souriant :
- Hélas, on ne devient pas cuisinier du roi en lui faisant manger du pain dur !
Mais la mère de Pierre insiste :
- Allons, va, mon petit cuisinier. Tu sais faire un dessert avec un courant d’air. Je suis sûre que tu peux gagner ce concours !
Alors, Pierre se met en route. Il se demande bien quelle recette il pourra préparer pour le roi, car il n’a rien dans les mains ni dans les poches. Mais comme il sent le printemps qui arrive, il se met à chanter :
- Je n’ai rien pour mon roi, pas de sucre ou de chocolat, même pas la moitié d’un petit pois !
Bientôt, Pierre arrive devant une ferme. Un vieil homme vient à sa rencontre en criant : - à l’aide ! Au secours ! Ma vache est tombée dans l’étang !
La pauvre vache essaie bien de sortir de l’eau mais à chaque fois qu’elle approche du bord de l’étang, elle glisse dans la boue et plouf ! Elle retombe lourdement. Pierre prend une corde solide. Il l’attache aux cornes de la vache et tire sur la corde de toutes ses forces. On hisse ! On hisse ! La vache sort les deux pattes avant. Encore un effort ! On hisse ! On hisse ! Enfin la vache regagne la terre ferme. Elle est sauvée ! Le vieil homme est tout heureux et, pour remercier Pierre, il lui donne un pot de lait tout frais. Pierre reprend le chemin du palais du roi en chantant : - voilà du lait pour le roi, c’est tout ce qu’il aura pour tremper son petit doigt ! Tout à coup, il aperçoit des poules qui courent dans un pré en battant des ailes. Derrière les poules, il y a une fermière qui crie :
- Vilaines poules ! Revenez, revenez, ou le renard va vous manger !
Mais les poules partent dans tous les sens et la fermière ne peut pas les rattraper. Pierre ramasse un bâton, il le fait tourner au-dessus de sa tête puis il file à toute vitesse derrière les poules. Il les rassemble et, en un clin d’œil, il les fait rentrer dans le poulailler. La fermière saute de joie. Elle dit à Pierre :
- Sans toi, mes poules allaient se perdre dans la forêt !
Pour le remercier, elle lui donne six œufs dans un panier. Pierre continue sa marche. Il chante :
- Avec du lait et des œufs que fait-on de délicieux ? Avec des œufs et du lait que pourrait-on préparer ?
Un peu plus loin, alors que la nuit commence à tomber, Pierre rejoint une charrette chargée de sacs de farine et traînée par un âne. C’est la charrette du meunier. Le meunier appelle Pierre :
- S’il te plaît, veux-tu me donner un coup de main ? Ma roue a glissé dans le fossé. Je ne peux plus avancer.
Pierre pose son lait et ses œufs et il pousse avec le meunier. Un, deux, trois, hue ! La charrette est dégagée, le meunier peut rentrer au moulin. Mais avant de partir, il offre à Pierre un petit sac de farine. Pierre s’en va en chantant :
- J’ai des œufs, de la farine et du lait, mon roi tu vas te régaler ! J’ai du lait, des œufs et de la farine, roi, tu vas te lécher les babines !
Lorsque Pierre arrive au palais du roi, le concours de cuisine a déjà commencé. Des cuisiniers sont venus des quatre coins du pays. Ils ont apporté avec eux des épices et des fruits, des lapins, des dindes, des moutons, des légumes, des poissons, des champignons et des herbes parfumées ; tout ce qu’il faut pour réussir des desserts rares, des salades exquises et des rôtis savoureux. Dans la grande cuisine royale, le roi est assis sur le trône. Des serviteurs lui apportent ce que les cuisiniers lui ont préparé. Le roi respire l’odeur de chaque plat, puis il goûte des bouts des lèvres. Il mâchouille, il ferme les yeux, il renifle encore une fois. Mais, pour chaque recette, il grogne : -trop grillé. Trop cru. Trop salé. Trop sucré. Trop chaud. Trop froid. Trop sec. Trop gras. Rien ne lui plaît. Enfin, c’est le tour de Pierre.
Le roi lui demande :
- Alors, jeune homme, que vas-tu nous préparer ?
Pierre se gratte la tête avant de répondre :
- Euh… Sire… Majesté… C’est-à-dire… voilà… c’est une surprise.
Le roi sourit :
- Ah, enfin une surprise !
Euh…euh…
Pierre réfléchit, il se dit :
Qu’est-ce que je pourrais bien faire avec de la farine, du lait et des œufs ? Il regarde par la fenêtre par la fenêtre et il aperçoit la lune qui brille dans le ciel. Cela lui donne une idée. Il s’écrie :
- Je vais faire des lunes, des lunes à croquer !
Le roi fronce les sourcils, il dit :
- Tiens, tiens, des lunes à croquer ? Je suis curieux de voir ça. Alors, mon garçon, mets-toi au travail. Aussitôt, Pierre vide sa farine dans un grand saladier. Il ajoute ses œufs et il verse son lait en mélangeant avec une grande cuillère en bois. Puis il dépose un peu de la pâte qu’il a ainsi préparée dans une poêle bien graissée. Et il la met à cuire sur le fourneau. Au bout de deux minutes, Pierre saisit le manche de la poêle, il donne un coup de poignet et hop!...un gâteau plat et rond s’envole dans la cuisine royale. Pierre dit au roi : - regardez, voilà la lune ! Le roi lève la tête, il n’en croit pas ses yeux : le gâteau rond monte jusqu’au plafond et il retombe juste dans la poêle.
Pierre le laisse cuire encore un peu, puis il dit :
- Voilà, Sire, vous pouvez croquez cette lune.
Le roi renifle, il goûte, il mâchouille et il déclare :
- Ce n’est pas mauvais… C’est même plutôt bon… J’aimerais bien moi aussi faire une lune à croquer car cette recette m’amuse beaucoup. Il se lève de son trône, il verse un peu de pâte dans la poêle, la laisse cuire deux minutes, il donne un petit coup de poignet … et hop ! Il fait sauter la lune à croquer. Et plaf ! Elle retombe sur la tête de la reine. Le roi éclate de rire : - ha ! ha ! ha ! Décidément, cette recette me plaît ! Le roi s’amuse comme un fou : - encore, encore, encore ! Il fait des dizaines des lunes à croquer et il les mange avec du sucre, de la confiture, du chocolat.
À la fin, quand le roi a bien ri et bien mangé, il dit à Pierre :
- C’est toi qui a inventé la recette la plus drôle, du jamais vu, du jamais goûté ! Je te nomme Grand Cuisinier du Roi !
Depuis ce jour, Pierre vit avec toute la famille dans le palais du roi et, chaque année, à la fin de l’hiver, il fait des lunes à croquer.
Source : Jean-Jacques Vacher